le 28/11/2022 - 18:42 par Delac4
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"Bonjour Christian,
Au cours du temps, j’ai trouvé dans certains traités de la peinture mention de la dégradation de l’huile en une centaine d’années. Je viens de retrouver cette mention dans un article que j’ai lu pour préparer ma conférence sur la copie, remise en cause par l’un de mes contacts.
Je n’ai pas trouvé cette information dans ton ouvrage, sauf erreur de ma part. Peux-tu me renseigner à ce sujet ?
Merci d’avance !
Très cordialement.
Catherine"
Pour répondre à ta question, Catherine, voici les deux passages concernés dans mon ouvrage :
1) Chapitre "B.1. Evolution et disparition du métier d'artiste peintre", page 21 :
Les impressionnistes, en réaction contre les injonctions de l’Académie, simplifient le métier jusqu’à retourner à la technique à l’huile seule, éventuellement diluée à l'essence, proche de celle relevée par le moine Théophile à la fin du XIe-début du XIIe siècle, dans son manuscrit Schedula diversum artium traduit en Français en 1843. Au Moyen Age, en effet, la peinture à l'huile n’était pas considérée comme une technique artistique. On lui reprochait, en particulier, sa lenteur à sécher et, en conséquence, l’impossibilité d’opérer avec ce produit des superpositions sans mélange dans le frais, superpositions que permettait, et très rapidement, la tempera à l’œuf. De plus, on la savait non durable au-delà d’une centaine d’années. Les couleurs à l’huile servaient essentiellement à peindre les statues et objets liturgiques. C'est pourtant avec cette technique, on ne peut plus sommaire, que les impressionnistes se lanceront dans leurs expérimentations. Un artiste comme Degas, las de se confronter avec la technique de l’huile qui ne convient pas à ce qu’il en attend, ira jusqu’à la délaisser au profit du pastel.
2) Chapitre "D.15.2. La Révolution impressionniste : une avancée ou une régression picturale ?", pages 210 - 211 :
Des pigments, un liant huileux, un diluant. On pourrait effectivement en rester là. C’est d’ailleurs à ces matériaux de base que les peintres impressionnistes, considérés comme révolutionnaires à la fin du XIXe siècle, sont revenus et nous ont laissé ce que nombre de peintres considèrent encore comme la tradition. Or, si l’on sait ce que les impressionnistes ont apporté pour ce qui est du renouveau de la peinture : éclaircissement de la palette, relative rapidité d’exécution, renouvellement des sujets, ils sont moins connus, sauf dans les milieux spécialisés, pour ce qu’ils ont pu faire perdre aux techniques picturales basées sur l’utilisation de l’huile.
En effet, rejetant la tradition académique, sa vision considérée comme sclérosée, ses recettes compliquées et son coloris parfois fumeux, ils ont, dans un même élan, mis à bas ce que des siècles d’avancées techniques avaient apporté au métier de peintre. Sans le savoir, ils sont revenus à une pratique de l’huile telle qu’on la concevait aux XIe-XIIe siècles, époque où elle était considérée comme impropre à la peinture artistique.
« Je peins comme l’oiseau chante », clamait Claude Monet. Certes, l’oiseau ne se soucie pas de technique, mais il a acquis ses capacités de chanteur par les générations d’oiseaux qui l’ont précédé. Qu’un siècle plus tard, les œuvres impressionnistes, prévues par leur créateurs pour ne pas être vernies afin de garder la fraîcheur du fait de leur matité, soient quasiment toutes passées sous la brosse à vernir des restaurateurs, et dans tous les musées du monde, est un indice évident que la technique impressionniste, dans sa révolte simplificatrice, a laissé filer un élément essentiel à la durabilité des œuvres produites. Sans cette ultime opération de survie, désormais, la peinture impressionniste serait en passe de disparaître.
Il faut se rendre à l’évidence, les Anciens avaient bénéficié du recul du temps pour le vérifier : la peinture broyée à l’huile crue, sans autre ajout, ne dure pas plus d’un siècle. Le film pictural se construit par oxydation, mais celle-ci se poursuit durant des années et, parallèlement à l’oxydation constructive se déroulent des phénomènes d’oxydation destructive. Quand les seconds prennent le pas sur les premiers, la couche picturale finit par perdre sa cohésion. Cette durée de vie limitée était une des raisons majeures qui avait fait rejeter l’huile comme technique de peinture artistique ; les autres raisons étant sa lenteur de siccativation et l’impossibilité conséquente de superposer deux teintes sans qu’elles ne se mélangent, à moins d’attendre longuement :
On peut broyer les couleurs de toute espèce avec la même sorte d’huile, et les poser sur un travail de bois ; mais seulement pour les objets qui peuvent être séchés au soleil : car, chaque fois que vous avez appliqué une couleur, vous ne pouvez en superposer une autre, si la première n’est séchée ; ce qui, dans les images et les autres peintures, est long et trop ennuyeux (Théophile, présentation de 1843, livre I, chap. XXV).
Or, à une époque où la succession des couches picturales répondait à une codification bien précise, la superposition des teintes était une nécessité. Pour la figure, par exemple, le dessous était un verdaccio, teinte laissée apparente dans les ombres, et qui mettait en valeur, par contraste, le rosé des lumières qu’on lui superposait.
Bien cordialement,
Christian
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